#00 Son nom est Moore, Johnny Moore

En signant son 6e triple-double en carrière contre les Lakers, Dejounte Murray a confirmé son très bon début de saison et rejoint un autre Spur, dont le maillot est accroché au plafond du AT&T Center. Point-guard des années 1980, Johnny Moore a brillé à une époque sombre pour les Spurs. Par son état d’esprit, il incarne cependant à merveille ce côté altruiste qui a fait le succès de la franchise.

Si je vous dis Johnny Moore, vous me dites ? Non, rien à voir avec le célèbre trompettiste, fondateur du mythique ska jamaïcain et du groupe de reggae The Skatalites. Il s’agit bien d’un basketteur. En neuf saisons au sein de la NBA, Johnny Moore a disputé 920 rencontres. Toutes sous l’uniforme des Spurs, à l’exception d’un petit match avec le maillot des New Jersey Nets, en décembre 1987. Une erreur dans le script de la carrière de ce joueur unique, qui a gagné sa place au panthéon de la franchise texane. Et le respect de toute une communauté. 

Johnny Moore, le 29 mars 2001, avec son maillot retiré trois ans plus tôt – Express-News file photo

Drafté en 43e position en 1979 par les Seattle Supersonics, qui viennent d’être sacrés champions, Johnny M00re sort de quatre saisons au sein des Texas Longhorns d’Austin, la fac d’un certain LaMarcus Aldridge. Il est d’ailleurs à l’époque le joueur sélectionné le plus haut dans l’histoire de la fac. Avec son maillot orange déjà floqué du double 0, le meneur signe des statistiques plus que correctes. Lors de sa dernière saison, il termine avec une moyenne de 8,3 passes décisives par match, compilant à deux reprises 19 passes dans un match, record de l’université. Avec 714 caviars en NCAA, il est toujours – et de loin – le leader all-time de la catégorie pour les Longhorns.

Une carrière contrastée

Malgré ce CV plutôt flatteur, le jeune homme originaire de Pennsylvanie, dont les droits ont été cédés aux Spurs, n’arrive pas à convaincre le coach de l’époque Doug Moe. Il est coupé et ne découvre les parquets NBA que la saison suivante. Scotché au banc de touche derrière un certain James Silas, Johnny Moore dispute cependant les 82 matchs de saison régulière et s’offre le luxe de terminer la saison meilleur passeur et meilleur intercepteur des Spurs alors qu’il n’est même pas titulaire. 

La saison suivante, sa première en tant que titulaire, le meneur des Silver and Black termine meilleur passeur de la ligue avec 9,6 caviars par match. À la fin de sa carrière, il sera d’ailleurs le leader all-time des Spurs avec 3865 offrandes. Un total battu depuis par Avery Johnson, Tony Parker et Tim Duncan. Pendant ses premières campagnes, Johnny Moore évolue dans l’ombre de George Gervin, ce qui a sans doute eu un impact sur le souvenir que l’on a de lui. Il faut dire aussi qu’après la retraite d’Iceman, les Spurs enchaînent quatre saisons moins de 50% de victoires. Et ce jusqu’à l’arrivée en 1989 d’un jeune homme venu de la Navy, l’Amiral David Robinson.

Malgré tout, Johnny Moore ne doit pas être simplement ramené à cette sombre période. Altruiste, il n’hésite pas à se mettre au service de Gervin, l’un des plus grands scoreurs de l’époque. Mais il est aussi capable, par sa maîtrise du tempo, de prendre le match à son compte. Comme ici, face aux Lakers lors des playoffs 1983.

Avec Alvin Robertson – joueur trop souvent oublié malgré son quadruple-double et ses titres de MIP et DPOY la même année – il forme un backcourt de grande qualité. Un journaliste les appellera d’ailleurs les « Twin Terrors ». Il compte également Artis Gimore comme coéquipier dans la raquette. Parmi ses performances notables, trois matchs à plus de 20 passes, dont un en playoffs. Et 9 interceptions ou plus à deux reprises. En carrière, il affichera des moyennes de 9,4 points, 7,4 passes, 3 rebonds et 2 interceptions par match.

La grosse frayeur

Malheureusement, en 1985, sa carrière connaît un véritable coup d’arrêt, alors qu’il est dans son prime. Un choc qui changera sa vie, et son impact sur le jeu, à tout jamais. Tout commence par des maux de tête. En décembre de cette année, alors que les Spurs ont battu les Clippers, l’équipe est à l’aéroport mais Johnny Moore ne se sent pas bien. En tant qu’athlète, il pense pouvoir passer outre. Malgré tout, il joue le match suivant face aux Nuggets. Mais les douleurs sont toujours là au petit matin.

“Je n’ai pas pu dormir. J’avais des nausées et des frissons”, se rappelle Moore. “La douleur était atroce. C’est là que j’ai compris que ce n’était pas un mal de tête ordinaire.”

San Antonio Express News – John Whisler, Staff Writer – April 12, 2016

Trois jours plus tard, le meneur des Spurs est hospitalisé. Si les médecins mettent un certain temps à diagnostiquer le mal, l’annonce est un choc. Victime d’un champignon endémique du Sud-Ouest des États-Unis qui lui cause une fièvre appelée Desert Fever, Johnny Moore a contracté une méningite. Une possibilité extrêmement rare qui, en plus de mettre sa carrière entre parenthèses, peut mettre sa vie en péril. De cet épisode effrayant, celui qui a aujourd’hui 63 ans conserve une cicatrice sur le crâne. Pour le soigner, on lui administre en effet un médicament directement dans le cerveau.

En un mois, il perd près de 15 kg et ne peut évidemment plus jouer au basket. Le meneur des Spurs sert même de cobaye pour un traitement expérimental de Pfizer, firme aujourd’hui bien connue du monde entier. « J’étais prêt à essayer n’importe quoi. J’aurais embrassé une bougie d’allumage si j’avais cru que cela pouvait me faire du bien », raconte Johnny Moore. Sa femme se souvient avec effroi : « Ils lui ont dit qu’il pourrait ne plus pouvoir avoir d’enfant et qu’il pourrait devenir aveugle. »

Une dernière saison pour l’histoire

Malgré tout, contre toute attente, le numéro 00 dispute 55 matchs lors de la saison 1986-1987. Mais il est bien loin du joueur qu’il était. La saison suivante, les Spurs le coupent après seulement quatre matchs. Moore signe un contrat court avec les Nets, porte leur maillot à une reprise, mais n’est pas prolongé… Le début de la fin pour le meneur, qui s’exile au Mexique en 1988-1989 avant un nouveau retour dans le Texas pour sa dernière saison. Un départ en beauté puisque, même s’il joue un rôle minime, il participe au retour en grâce des Spurs. Avec David Robinson, Sean Elliott et Terry Cummings, les Silver & Black signent en effet l’un des plus gros turnaround de l’histoire, passant de 21v-61d à 56v-26d.

Après sa carrière, Johnny Moore, qui dispute quelques matchs en Espagne, s’installe définitivement au Texas. Il reste un temps dans l’entourage des Spurs, travaillant pour la franchise avant d’être écarté en 2003. Un épisode sur lequel il ne s’est jamais étendu. L’ancien meneur se lance alors dans le coaching, notamment auprès des plus jeunes, partageant son expérience dans différentes ligues. Toujours avec l’humilité qui le caractérise ce joueur. Au final, sa vie est à l’image des couleurs de sa franchise de cœur, en noir et blanc. Et lui ne retient que le positif. « J’ai la chance d’être là et de pouvoir avoir un impact sur la vie des jeunes », assurait-il en 2016.

S’engager pour la communauté, s’effacer devant le collectif… Et si c’était Johnny Moore qui, le premier, avait fait vivre l’état d’esprit Spurs ?